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Une proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, déposée par Bernard Jomier, a été discutée le 1er février en séance publique au Sénat et adoptée par ce dernier. Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, a cependant fait connaître son opposition à ce projet de loi. Les représentants de dizaines d’associations de patients et de soignants, dont la FFAAIR, à laquelle appartient l'AFPF, ont par avance appelé à son adoption, dans une tribune au « Monde », sous le titre :« Patients, aidants et professionnels de santé, unissons nos voix pour défendre les principes de qualité et de sécurité des soins, ainsi que les conditions de travail des soignants ».
L’hôpital public, fierté nationale que nombre de pays nous enviaient, est l’épine dorsale de notre système de santé. Pourtant une récente enquête du collectif Action Patients, publiée en novembre 2022, réalisée auprès des patients (adultes et enfants) et des soignants montre que tous font le même constat : la prise en charge à l’hôpital s’est considérablement dégradée et les patients subissent d’importantes « pertes de chances ».
Des centaines de témoignages ont été recueillis. Des patients abandonnés dans leurs excréments en attendant la visite d’un soignant, des dizaines de kilomètres à parcourir pour un rendez-vous médical ou chirurgical parfois annulé à la dernière minute, des délais de prise en charge déraisonnables pour des patients gravement malades, un manque de dialogue avec les professionnels de santé faute de temps…
Des soignants amenés à en faire toujours plus, avec à chaque fois moins de moyens et de temps, pour préserver autant que possible les personnes malades et parfois leur cacher les pertes de chances dont ils sont victimes. Des patients triés selon leur âge ou la gravité de leur pathologie. Des inégalités d’accès aux soins, des maltraitances involontaires qui questionnent l’éthique des soins. Des dépistages tardifs donnant lieu à des complications qui auraient pu être évitées, des prises en charge « en mode dégradé » qui deviennent, hélas, la norme, etc. Au quotidien, patients et soignants font face à une véritable catastrophe sanitaire.
Pourtant, le président de la République, dans son discours du 6 janvier à l’occasion des voeux aux acteurs de la santé, a mis en cause la responsabilité des patients dans la « perte sèche de temps médical ». Ce temps, a-t-il déclaré, serait « gaspillé par un excès d’imprévoyance, de la désinvolture, avec en particulier des rendez-vous non honorés (…). On doit mettre fin à un système où, en quelque sorte, on fait avec notre système de santé ce qu’on ne fait avec rien d’autre dans la vie de notre société. C’est-à-dire qu’on pense que le droit de tirage est absolu, sans fin, illimité, que le respect n’a plus cours parce qu’on ne paye jamais ». A suivre ces propos, les personnes malades seraient donc en partie responsables du naufrage de l’hôpital !
Stratégie de minimisation des drames
Ces déclarations sont inacceptables. Opposer soignants et soignés, culpabiliser les patients victimes de la faillite de l’hôpital, qui la paient parfois de leur vie, c’est se livrer à une choquante stratégie de minimisation des drames qui se produisent chaque jour et dans tous les services, bien au-delà des urgences. Si les causes de cette situation sont multiples, la première est, de très loin, le manque de personnels soignants.
Selon les résultats de l’enquête d’Actions Patients, 80 % des professionnels de santé considèrent le manque d’infirmiers et autres soignants comme l’une des causes des difficultés qu’ils rencontrent dans leur pratique. Comme le soulignait, dans sa conclusion, le rapport de mars 2022 de la commission d’enquête du Sénat sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, « l’hôpital doit désormais sortir d’un pilotage erratique et d’un quotidien où soignants et dirigeants ne cessent de courir après le temps et les moyens, de gérer les urgences jusqu’à l’épuisement ».
Soumis à des cadences infernales, nombre de personnels quittent l’hôpital, accablés par la déshumanisation des soins et les risques d’erreurs liés à l’épuisement professionnel. Ces départs aggravent la dégradation des conditions de travail de ceux qui restent et à qui des plannings ingérables sont imposés.
Cette situation dramatique nous amène, patients, aidants et professionnels de santé, à unir nos voix pour défendre l’institution hospitalière mais aussi et surtout défendre les principes de qualité et de sécurité des soins, d’égalité d’accès, le respect de la dignité des patients et de leurs proches, ainsi que les conditions de travail des soignants. Cette démarche procède d’une volonté de défendre la démocratie en santé que nous souhaitons robuste, en particulier dans les pires moments.
« L’instauration et le respect de ratios permettraient de faire des économies »
Patients, aidants et soignants joignent leurs voix pour demander la mise en place de mesures immédiates et concertées telle la mise en place, nécessairement progressive, d’un nombre minimal de soignants par patients hospitalisés. De nombreuses études scientifiques montrent que la qualité des soins et la mortalité des patients dépendent de la charge de travail des soignants, et notamment des effectifs infirmiers.
Avec un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, l’hôpital redeviendra plus attractif pour les soignants. La commission d’enquête sénatoriale le confirme : « Le renforcement des effectifs est nécessaire pour diminuer la charge de travail des soignants et améliorer les conditions d’exercice auprès des patients. »
L’instauration et le respect de ratios permettraient par ailleurs de faire des économies. S’ils existent déjà en France dans certaines disciplines médicales, ils sont également pratiqués dans d’autres pays (Australie et Californie par exemple) qui, grâce à cette mesure, ont évité des coûts significatifs. Investir maintenant en ce sens, c’est garantir l’humanisation des soins et améliorer les conditions de travail des professionnels de santé. C’est aussi fixer une trajectoire pour restaurer la confiance en l’hôpital.
C’est pourquoi quarante-deux associations de patients, dont les associations membres d’Action Patients ou du Collectif pédiatrie, ainsi que le Collectif inter-hôpitaux (CIH) et le Collectif inter-urgences appellent à l’adoption de la proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé. Cette proposition doit être discutée ce 1er février en séance publique au Sénat. Il y va de l’avenir de notre santé, de notre hôpital et de notre pacte social : que chacun soit soigné ou puisse travailler dans un cadre bienveillant et en toute sécurité.
Parmi les signataires : Guy Bouguet, président d’Ensemble leucémie lymphomes espoir (ELLyE) ; Laurent Boutillier, président des Séropotes ; Marie Citrini, représentante du Collectif inter-hôpitaux (CIH) ; Laure Dorey, déléguée générale de l’Association maladies foie enfants (AMFE) ; Etienne Lengline, représentant du CIH ; Nathalie Mesny, présidente de Renaloo, la voix des malades du rein ; Marie-Agnès Wiss, président de la FFAAIR; Pierre Schwob Tellier, représentant du Collectif inter-urgences ; Anne Solet, représentante du CIH (infirmiers et infirmières) ; Danielle Vacher, présidente de l’Association nationale de défense contre l’arthrite rhumatoïde (Andar) ; Catherine Veillet-Michelet, présidente de RoseUp
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Le texte soumis à la discussion au Sénat propose : "d'établir, pour chaque spécialité et type d’activité de soin hospitalier et en tenant compte de la charge de soins associée, un ratio minimal de soignants par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires, pour chaque spécialité et type d’activité de soin hospitalier et en tenant compte de la charge de soins associée, un ratio minimal de soignants par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires"
Le texte adopté avance encore vouloir : « (4° bis) Établir, pour chaque spécialité et type d’activité de soin hospitalier et en tenant compte de la charge de soins associée, un ratio minimal de soignants, par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires, de nature à garantir la qualité et la sécurité des soins"
"Nous souscrivons à l'objectif de ce texte, a déclaré Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Face aux tensions que connaissent nos services hospitaliers, nous devons agir afin d'offrir « un cadre de travail décent et bien-traitant pour les soignants » - je cite l'exposé des motifs de M. Bernard Jomier - en vue de bien soigner les patients.
Mais la ministre déléguée a fait connaitre son opposition à ce projet de loi :
"Le Gouvernement est défavorable à la proposition de loi. N'y voyez pas un renoncement : jamais nous ne reculerons devant la nécessité de conforter les effectifs au service des patients. Mais nous ne croyons pas à la coercition. Il faut tout faire pour redonner envie aux professionnels de s'engager à l'hôpital, en leur permettant de travailler en fonction de leurs besoins et de leurs contraintes. Il faut faire confiance aux professionnels de santé, accompagnés par un effort inédit. Les objectifs de cette proposition de loi sont légitimes : il faut redonner du temps aux professionnels de santé, au service de la population. Faisons confiance au terrain, à sa capacité à co-construire des solutions."
"Nous partageons la philosophie du texte, mais la réponse proposée n'est pas la bonne.", a conclu la ministre déléguée.
Le texte a été adopté par 256 sénateurs pour, 16 contre, sur 272 suffrages exprimés
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